Confinement dans la cité 19 mars
Le confinement a bouleversé nos rythmes. Forcés de rompre avec nos habitudes, la réclusion nous a permis de modifier ce paramètre de nos vies jusqu’alors immuable, le temps.
Finie la course éperdue, le Covid-19 a ralenti notre empressement, les contraintes se sont amenuisées. Les enjeux sanitaires ont remis en question la gestion de notre quotidien et de nos nécessités. Il a pointé du doigt une vérité que nous avions négligé, emportés par le flux toujours plus tendu de nos vies, rien ne compte plus que la santé.
De notre esprit, les obligations se sont échappées. Le repli chez soi avec les siens a évacué derechef les fioritures de notre existence, une sorte de parenthèse qui nous oblige à nous recentrer sur nous, vers soi.
Il m’a semblé souvent inutile de rappeler aux autres d’où je venais pour éviter d’être enfermée dans une seule et unique case, celle de mes origines. Pourtant, je peux le dire fièrement, j’ai été une enfant des cités qui a grandi au troisième étage puis au sixième d’un appartement avec la même vue sur le béton.
Pourtant, cet environnement m’a offert une enfance joyeuse. Nous avons été chanceux mes quatre frères, ma sœur et moi, nourris à l’amour infini d’une mère beaucoup trop jeune. Il nous était parfois difficile de donner son âge, de peur des moqueries. Pourtant notre mère avait l’éclat de sa jeunesse. Mon père quant à lui, il a toujours représenté l’autorité, celle qui se diffuse dans la tendresse la plus absolue. Ils ont su nous hisser vers ce qu’on appelle la « beurgeoisie ».
Nous avons tous quitté depuis bien longtemps la cité, ses immeubles uniformes et ses aires de jeux pavées. Qu’en est-il des autres ? Qu’en est il de ceux que j’ai connu et qui n’ont pas pu quitter la cité par choix ou par nécessité ? Leur sort m’a inquiété. Je les avais oubliés et les événements m’ont rappelé à eux comme un retour à mes racines, indispensable.
J’ai alors contacté J. sur les réseaux sociaux. Je lui ai expliqué que je voulais écrire sur la cité au temps du Corona Virus. Elle a accepté que je m’entretienne avec elle par téléphone. J. a l’âge de ma petite sœur, presque quarante ans, elle est maman de deux filles.
J. officie dans le secrétariat, elle enchaîne les CDD et son mari est manutentionnaire. Je cherche à savoir depuis quand est-elle confinée ? Elle hésite à me répondre, je la rassure, je ne suis pas journaliste, c’est juste pour savoir si la mesure de confinement est bel et bien respectée par tous. Elle répond un peu honteuse, lundi soir.
Quand j’évoque avec elle l’approvisionnement, elle répond, « j’ai entendu dire que les gens se battaient et je ne voulais pas que mes enfants assistent à des scènes de violence. ». Alors, tous les deux jours, elle continue à faire ses courses chez l’épicier du coin, « c’est un peu plus cher mais les gens ne se battent pas. En revanche, les distances de sécurité ne sont pas respectées. Il faut bien que je sorte, les horaires de travail de mon mari ne lui permettent pas de prendre un temps pour les courses ».
Qu’en est-il de la vie dans le quartier ? A l’extérieur, les habitants sont ils toujours aussi nombreux à se déplacer dans les allées ? J. est catégorique, « il y a beaucoup moins de squattage ». Cependant, elle déplore l’attitude des « chibanis » (personnes âgées), il semblerait qu’ils ne prennent pas au sérieux les mesures de confinement, « ils ont besoin de leur routine ».
Elle me détaille ses journées depuis mardi matin, elle s’est fixée un emploi du temps strict. Je lève les filles à 9h pour qu’elles prennent le temps de déjeuner. A dix heures c’est vidéo conférence avec l’enseignant de l’une, à 11h avec l’enseignante de ma cadette. « Je trouve les vidéos conférences géniales, cela nous permet aux filles et à moi d’avoir un repère. Mais je n’ai pas d’imprimante à la maison, c’est difficile de rendre les devoirs qu’il faut scanner. A midi, on déjeune, l’après-midi, j’ai instauré un moment calme puis un peu de télévision. A seize heures, on reprend les devoirs ».
J’en profite pour lui demander des nouvelles de sa maman que je sais très malade, « elle n’a plus d’infirmière, à cause du corona virus. C’est moi qui pique maman tous les jours, elle a besoin quotidiennement de son insuline. Les aides ménagères ne passent plus, je me charge également de son ménage ».
J. ne semble pas inquiète outre mesure, elle prend les choses avec beaucoup de sérénité. Je lui promets de ne pas divulguer son identité, je la remercie. Finalement, le confinement m’aura obligé à prendre des nouvelles des miens. Le quartier, c’est aussi d’où je viens.
NG
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.